L’instruction des jeunes est obligatoire, pas l’école.
Etudier par ses propres moyens sans avoir recours à une école a toujours été possible en
France, comme dans de nombreux autres pays. Cette modalité s’appelle « l’Instruction en famille » (IEF) ; elle est aussi couramment appelée « l’école à la maison ». Elle est inscrite dans la Constitution française. L’instruction des enfants est obligatoire ; les parents ont la liberté de la déléguer à des écoles ou de l’organiser eux-mêmes.
La réglementation de l’instruction en famille en France précise deux étapes : (1) la déclaration des parents auprès des autorités (la Mairie et l’Académie) et (2) un contrôle annuel (des services sociaux et de l’inspection académique pour mesurer les progrès de l’enfant jusqu’à 16 ans).
Il y a actuellement 60 000 enfants et jeunes qui étudient sans aller dans une école en France.
Le nombre s’est accru ces derniers temps, d’une part avec la décision de scolariser les enfants dès trois ans (rappelons que même les régimes dictatoriaux ne scolarisent qu’à partir de six ou sept ans) et d’autre part avec les conditions sanitaires liées à la Covid 19 (obligation de porter un masque alors que des études alarment sur le risque de santé lié à une mauvaise oxygénation du corps ; augmentation du risque de contracter le virus avec la concentration de personnes dans un espace réduit ; alternance irrégulière de périodes en classe et à la maison obligeant les parents à s’organiser au dernier moment).
D’autres raisons plus profondes motivent les familles à assumer de plus en plus l’instruction de leurs enfants sans avoir recours à une institution scolaire. Chaque famille développe son mode d’instruction correspondant à ses valeurs et son rythme. C’est ce que je propose de vous expliquer ici.
« Eduquer, ce n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu. » William Butler Yeats (poète irlandais)
Parmi les principales motivations des familles à instruire elles-mêmes leurs enfants, on entend souvent la possibilité de ne pas être dépendant du calendrier scolaire pour voyager, d’avoir du temps de qualité avec chaque enfant, de pouvoir choisir leurs supports pédagogiques ou encore de passer plus de temps en plein air.
Le magazine Les Plumes destiné aux familles qui instruisent elles-mêmes leurs enfants, relève des arguments déclarés par les familles (dans le n°48) : un enfant retient souvent mieux ce que ses parents lui explique plutôt qu’une autre personne ; l’enfant apprend naturellement à écrire sans erreur grammaticale ni orthographique en interagissant avec son entourage ; l’enfant est libre d’écrire en cursive ou en script, du moment qu’il soit lisible ; l’enfant enrichit naturellement son vocabulaire en écoutant les histoires racontées par ses parents, au cours de ses lectures et des vidéos qu’il visionne ; l’enfant a davantage besoin que chaque étape de ses apprentissages soit vue par ses parents plutôt que de garder des traces écrites de tout ce qu’il découvre ; l’enfant a plus de temps pour découvrir tranquillement tous les aspects du programme de l’Education nationale qu’en classe.
En écoutant le podcast Libres d’Ecole, on note que des familles assurent l’instruction de leurs enfants parfois pendant un temps limité (par exemple : une ou deux années) avant que l’enfant retourne à l’école, le temps de faire une pause en famille. Dans le film Etre et Devenir de Clara Bellar (2014), une mère de famille explique qu’elle a eu ses enfants tardivement et qu’elle souhaite en profiter.
Apprendre, découvrir et s’intéresser ensemble à tous les sujets qui
s’offrent à nous dans le quotidien permet de souder des liens solides.
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Il arrive aussi que des enfants ne s’épanouissent pas à l’école, voire perdent l’enthousiasme
d’apprendre (harcèlement). D’autres familles ne scolarisent pas leurs enfants pour qu’ils
puissent se dédier à un art (sportifs de haut niveau, musiciens).
Voici quelques motivations exprimées par des parents sur des forums : Pour que mon enfant
soit heureux, épanoui -Pour respecter son rythme – Pour répondre à ses besoins particuliers –
Pour qu’il reprenne confiance en lui – Pour avoir un bon niveau -Pour évoluer dans un cadre
sécuritaire -Pour qu’il ait plus de temps pour jouer et développer sa créativité.
Chaque famille est une école avec son programme et son mode de fonctionnement.
Souvent les familles qui débutent dans l’instruction de leurs enfants ont recours à des cours par correspondance pour tout ou partie du programme. Elles complètent peu à peu les supports reçus par de nombreux supports disponibles comme : livres, cahiers, rencontres de personnes spécialisées sur un sujet, visites sur place, sites webs, visites virtuelles, vidéos. Elles piochent fréquemment des supports sur le Comptoir des Cours et Carpe Diem
Education, notamment pour réaliser des journaux créatifs sur un sujet.
Peu à peu, la plupart des familles s’éloignent des cours par correspondance pour composer leur propre projet éducatif. Elles veillent à atteindre les objectifs de l’Education nationale sur lesquels elles sont inspectées chaque année, en ayant recours à des cahiers brossant le programme comme ceux de la Librairie des écoles. Elles complètent aussi le programme au gré des questionnements de l’enfant et du quotidien grâce aux recherches et rencontres pour y répondre.
Une mère de famille, Eve Herrmann explique sur sa page Instagram qu’elle compose un panier du matin avec ses filles, comprenant ce qu’elles souhaitent faire dès le début de journée (ex : opérations, un dialogue d’anglais), puis chacune de ses filles travaille sur un projet personnel dans lequel elle les appuie (ex : dresser une carte des animaux en danger ; réaliser un journal créatif sur le Japon).
De nombreuses familles créent leurs propres supports pédagogiques et les partagent sur le Comptoir des Cours (ex. cours d’histoire sous forme de lettres écrites par des personnages historiques que l’enfant reçoit). Laura Laffon qui a traduit Charlotte Mason en français souligne l’importance de travailler avec des livres vivants (voir son compte Instagram Les Petits Homeschoolers).
Avec Carpe Diem Education, de nombreuses familles se sont mises à composer un livre des siècles. Il s’agit d’un classeur comprenant un intercalaire pour chaque siècle. A chaque fois que la famille parle d’un personnage ou d’un événement, elle le consigne dans le classeur des siècles. L’enfant visualise ainsi peu à peu les événements qui se sont passés simultanément à différents endroits du monde.
Le podcast Les Adultes de demain donne des conseils d’organisation pour l’instruction en famille dans de nombreux épisodes. Les principes de la pédagogie Montessori se répandent rapidement grâce aux nombreuses formations pour parents disponibles en ligne ou présentiel. Ainsi les parents dédient de plus en plus de temps au bricolage et travaux manuels pour développer les capacités d’apprentissages de leurs enfants.
L’offre de cours à la carte dans n’importe quelle matière est pléthorique. Les enfants peuvent ainsi s’inscrire pour la durée qu’ils souhaitent à des cours de spécialistes dans un domaine (par exemple sur le site de Superprof ou encore à des cours dispensés en anglais ou d’autres langues via des écoles en ligne d’autres pays).
Ainsi, chaque famille développe sa propre école, même si elle n’en porte pas le nom.
Et la socialisation ?
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Les familles instruisant elles-mêmes leurs enfants doivent fréquemment se justifier sur la socialisation de leurs enfants ; ce qui les fait sourire. Les enfants dont les familles organisent l’instruction pratiquent en général de nombreuses activités à l’extérieur : expériences de chimie dans des musées de sciences ; activités de découverte de l’histoire dans des musées historiques ; découverte de la botanique avec des clubs nature ; ils ont la possibilité de pratiquer de nombreux sports, de la musique ou encore du chant en chorale ou de la programmation informatique en clubs. La société propose de nombreuses autres structures d’apprentissage autres que les institutions scolaires. Les possibilités d’interactions avec des personnes en dehors du cadre familial sont élargies lorsque l’enfant a la possibilité de se déplacer naturellement dans son environnement. Des rapports d’inspection soulignent parfois que les enfants instruits par la famille sont à l’aise pour communiquer avec des enfants et adultes de tout âge. C’est aussi un témoignage qui ressort du film Uniques d’Hélène Douay (2020). En effet, ils ne passent pas une année entière avec un même petit groupe d’enfants du même âge et de leur quartier. On compare parfois l’instruction en classe à de la culture hors- sol pour mettre en évidence que les enfants et jeunes sont cloisonnés en retrait de la société. |
De plus, les familles peuvent rejoindre des groupes d’autres familles instruisant leurs enfants. Il y a au moins un groupe par département de France et de nombreux groupes par ville. Outre les échanges d’astuces et conseils, les familles organisent de nombreuses activités ensemble : visites à prix réduit en dehors du temps scolaire, un parent spécialiste sur un sujet partage son savoir avec les enfants, nombreuses rencontres avec jeux libres en plein air. Plusieurs familles vont partager leurs expériences avec d’autres lors des grandes rencontres organisées par des associations comme Les Enfants d’abord (LED’A) en France (association de défense de l’instruction en famille créée en 1988) ou d’autres associations, notamment au Royaume-Uni. L’instruction en famille est-elle encore autorisée ? La possibilité de s’instruire en dehors d’une école a été menacée cette année pour lutter contre le terrorisme. Les autorités craignent que cette modalité permette à des enfants d’étudier uniquement dans des écoles coraniques qui encourageraient le fanatisme. |
Mon expérience d’instruction hors de l’école
Je voudrais finir en partageant avec vous mon expérience d’instruction hors de l’école qui a débuté pour moi à l’âge de 14 ans.
Désireuse de devenir trilingue, j’ai osé dès mes 14 ans aller vivre seule en Angleterre pendant un an loin de ma famille pour y apprendre l’anglais en immersion. On dit souvent qu’une bonne manière d’apprendre une langue est de la pratiquer avec des enfants. Ayant fait ma scolarité depuis mon enfance dans une école Montessori, j’ai candidaté dans plusieurs écoles Montessori anglaises. C’est ainsi que j’ai travaillé bénévolement pour l’école Trefoil pendant
En deux mots, avant cela, j’ai grandi au sein d’une école Montessori gérée par la fille de |
Pierre Rabhi, Sophie Rabhi Bouquet. J’y ai étudié la permaculture, le zéro déchet, la sobriété, la communication non violente, ainsi que le respect de chaque être. Autant de sujets qui deviennent à la mode car la prise de conscience de leur importance tend à se généraliser. |
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un an, à East Grinstead à 50 km de Londres, en 2018-2019. En dehors des heures de classe à l’école, j’ai pris des cours d’anglais avec des professeurs. J’ai ainsi acquis un niveau C1 en anglais. Je me suis inscrite en même temps à l’école américaine Clonlara. Fondée en 1967, cette école assure un accompagnement personnalisé des homeschoolers depuis 1979. J’ai ainsi validé peu à peu les crédits nécessaires à l’obtention du High School Diploma américain.
Forte de ce succès, j’ai réitéré l’expérience pour apprendre l’espagnol en Espagne. J’ai travaillé dans une école Montessori dans la ville de Denia, entre Valence et Alicante. Je maîtrise désormais parfaitement trois langues. Au terme de ces deux années à travailler à l’étranger, je remarque que je sais m’engager, je suis déterminée et impliquée dans mes études et dans ma vie. Je sais que les obstacles sont là pour être surmontés et que je peux gagner les défis. Je ne consomme pas des cours de manière passive ; je vais vers le savoir et cherche moi-même à approfondir ce qui m’intéresse.
Cette expérience a fait croître en moi l’amour de l’apprentissage et la soif d’apprendre. La méthode de Clonlara est d’inviter les élèves à être les acteurs volontaires et enthousiastes de leur propre instruction. Aujourd’hui j’en suis convaincue, l’apprentissage commence par la curiosité. J’affirme par expérience, qu’un environnement ouvert stimule la créativité et que les enfants apprennent mieux lorsque leurs centres d’intérêt guident leurs activités.
J’en suis moi-même la preuve. J’ai su gérer des responsabilités, m’adapter dans un nouveau pays, apprendre la langue, remplir mon rôle d’assistante au sein d’une école, réaliser mon apprentissage par moi-même avec une motivation, une envie d’apprendre et une curiosité immense. Je n’ai jamais été très scolaire, plus on me forçait à apprendre, moins je pouvais intégrer les informations dans ma tête car je ne le faisais pas pour moi. Dès lors que j’ai été en charge de mon instruction, j’ai pris de fortes dispositions pour parvenir à mes objectifs et aujourd’hui j’en suis fière.
Par ailleurs, intéressée par les métiers du journalisme et de la communication, j’ai pris l’initiative d’effectuer trois entretiens sur les droits des femmes pour en apprendre plus sur le sujet et me familiariser avec sa terminologie. J’ai rencontré successivement : une avocate spécialisée dans les droits de la femme ; une féministe pour mieux comprendre son combat et les principes qu’elle défend ; ainsi qu’un membre de l’association (LGBT) Nice Côte d’Azur. Outre mon intérêt pour le sujet, cette expérience m’a confirmé mon intérêt pour les relations publiques, la préparation et la conduite d’entretiens, ainsi que le partage de mes rencontres avec le public. Le modèle qui m’inspire est Hugo Clément, journaliste et écologiste engagé. Aujourd’hui, j’aimerais faire fructifier ma formation supérieure pour marcher sur ses pas.
Enfin le temps dont on dispose lorsqu’on organise soi-même son instruction permet de s’engager bénévolement. J’ai déjà plusieurs expériences de bénévolat dont deux au sein des associations Les Restos du Cœur et Sea Sheperd. Aux Restos du Cœur, je suis dans l’équipe qui donne la nourriture aux bénéficiaires depuis janvier 2021. Sea Sheperd est une association qui intervient de manière non violente dans des cas d’atteintes illégales à la vie marine et aux écosystèmes marins. J’ai pu les aider à organiser l’évènement « The Ocean Nation » à Seyne- |
sur-mer (83). J’y ai aussi participé en faisant un discours pour poser des mots surs : la vie en mer ; ce que représente l’océan ; et ce que les animaux marins vivent chaque jour à cause de l’humanité. |
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Donner la liberté aux enfants et aux adolescents d’apprendre par eux-mêmes est un cadeau. En étant écoutés, accompagnés et encouragés, les jeunes instruits hors de l’école peuvent se tailler un parcours sur mesure.